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Le kiosque des illusions
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27 février 2010

Et un bouquet de violettes....

Adrien dépassa la station de taxi et chercha à nouveau le 50 bis de la rue des chapeliers. La soirée était très avancée et il avait hâte d’en finir avec cette livraison. Il n’aimait pas ce quartier, crasseux et rebutant, le « cœur historique » comme aimaient dire les guides touristiques, le ventre débordant aux chairs décrépies d’une ville vieillissante pensa t’il plutôt.

Il immobilisa son scooter et fit quelques pas, le regard à hauteur de plaque de rue. Il arrivait quelquefois que les adresses ne correspondent à rien de réel, il lui fallait alors remplir une fiche, retourner dans les locaux de la société qui l’embauchait, perdre un temps infini à établir un rapport complet et à préparer le renvoi vers le destinataire. Il examina une nouvelle fois le colis : M René M, 50 bis rue des chapeliers. C’était un paquet volumineux mais léger, d’une forme assez particulière cependant, une sorte de grosse pipe dont la courbe s’épanouissait avec grâce.

Le bruit d’une porte raclant lourdement le sol le fit soudain sursauter, quelqu’un titubait sur la contremarche d’une coursive qui s’enfonçait vers ce qui semblait être l’arrière cour du numéro 50. Une arrière-cour, bien sûr, pensa Adrien. L’homme devait avoir dans les 35 ans, le regard vitreux, le verbe fort, ivre sans aucun doute. « Olivier commençait à trouver le temps un peu long » répétait-il sans cesse. Pauvre gars. Adrien ramassa le chapeau du gaillard, un borsalino qui avait vécu, et le lui rendit avant de s’enfoncer dans l’étroit couloir.

Echoué dans une chaise en rotin un vieil homme prenait un bain de lune. La petite cour avait du charme. Des vêtements se balançaient sur une corde à linge tirée entre un lampadaire et un porte-manteau perroquet. Adrien esquissa un sourire. C’était une garde robe singulière, queues de pie et autres jaquettes à boutons dorés s’étalaient en alternance avec quelques lampions de couleur qui éloignaient la nuit.

- Vous êtes la nouvelle femme de chambre ? demanda le vieil homme soudainement tiré de sa rêverie.

- Le livreur, répondit Adrien.

- Il faut épousseter les hauts de forme en les exposant à la clarté de midi, lui ordonna t’il en lui épinglant à la boutonnière un petit bouquet de violettes.

Un doux-dingue pensa Adrien en rentrant dans la maisonnette pour y déposer le colis. Le tableau fut la première chose qui attira son regard. Une somptueuse robe de taffetas blanche et cette femme sans visage qui semblait attirer à elle toute la lumière du monde. Puis le jeune-homme vit les chapeaux, des dizaines, des centaines, de tous les styles mais invariablement noirs. Il s’approcha de la table pour poser son encombrant paquet et son regard fut à nouveau attiré par l’adresse. M René M, 50 bis rue des chapeliers fous…des chapeliers fous…un frisson d’angoisse l’empoigna et il se retourna pour bien vite repartir.

Repartir, repartir….voilà que ses jambes semblaient ne plus vouloir repartir. Et que faisait cette rangée de chapeaux melons en dessous de lui….et ses fanfreluches blanches soudainement apparues sur ses bras. La robe blanche, la robe blanche l’enlaçait, le ficelait, l’emprisonnait.

Dans son tableau, Adrien allait trouver le temps un peu long…..

magritte_The_Great_War

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Texte écrit pour les défis consigne 95

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Commentaires
L
Moi aussi j'ai tilté sur cette phrase qui sonne joliment.
G
J'aime beaucoup cette phrase qui en dit plus long qu'on ne pourrait le penser : "Echoué dans une chaise en rotin un vieil homme prenait un bain de lune"...<br /> inquiétante, cette fin.
D
si joli....<br /> au parfum...........<br /> je pensais souvent à toi mais je ne me promène guère.....merci pour ton message...de voisinage<br /> avant le temps des violettes
Z
encore bravo !
J
Surrealiste au possible, j'adore!! et je me suis faite la reflexion sur le chapelier fou en lisant l'adresse ;)
Le kiosque des illusions
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